
Entreprendre et bâtir malgré le handicap


Publié le 01.08.2025
Temps de lecture : 5 minutes
Fils et petit-fils d’hommes du bâtiment, Gilles est « presque né sur un chantier ». Enfant, il rêvait de coffrage, de maçonnerie et de construction. Mais son avenir prend très tôt un virage imposé par la maladie. Une rétinite pigmentaire réduit progressivement sa vue et lui impose de réinventer ses projets. « À 15 ans, je voyais 1,5/10 à un oeil et 3/10 à l’autre. Il fallait se rendre à l’évidence, je ne pouvais pas suivre la voie traditionnelle », confie-t-il. Plutôt que de renoncer, il s’adapte. Il décide de s’orienter vers la gestion et la comptabilité. Formé au lycée Saint-Joseph de Lamballe, il fait face aux incompréhensions : « Le directeur hésitait à m’accepter par peur que je ne monte pas les escaliers ! » se souvient-il. Sportif de haut niveau – huit fois champion de France sur 1 500 mètres handisport – il démontre rapidement que les barrières sont souvent mentales avant d’être physiques.
Créer pour exister
À 23 ans, après un passage dans l’entreprise familiale, Gilles crée Atout Bat. Il a alors déjà bâti sa maison, acheté un terrain pour l’entreprise et préparé ses plans. Mais convaincre les banques reste un défi : « Six établissements ont refusé. Je cumulais handicap, jeunesse et ambition ! Heureusement, une banque, plus ouverte à la création, a cru à mon projet. ». À l’époque, il choisit de ne pas demander d’aide financière liée au handicap. « Trop lourd, trop lent, je voulais prouver que j’y arriverais seul. »
Installée sur un terrain de 8 000 m², disposant d’un hangar de stockage de 450 m², de bureaux et d’un magasin, l’entreprise vend des matériaux et loue du matériel professionnel. En 2009, afin d’augmenter son volume de livraison, sa réactivité et son indépendance, Gilles investit dans un camion grue qui renforce les capacités logistiques. La crise du bâtiment de 2010 impose une diversification. Avec son père qui l’a rejoint en 2009, ils décident de créer une branche de maçonnerie pour répondre à la demande du monde agricole, tout en maintenant son coeur de métier : le négoce. En 2013, un deuxième dépôt voit le jour. Et en 2023, son frère Christophe – présent dans la société, d’abord comme apprenti maçon puis commercial – devient officiellement son associé. L’entreprise grandit avec méthode et lucidité.
Compenser son handicap et bien s’entourer
Au quotidien, Gilles n’élude pas les contraintes liées à sa déficience visuelle. Il les transforme en levier d’organisation : « J’ai conçu le bâtiment de A à Z, en évitant d’ajouter des marches, pour optimiser mes déplacements. » Il s’appuie sur une synthèse vocale, une plage braille1 intégrée au clavier, et scanne les documents pour les lire numériquement. Il a aussi appris à compenser par une mémoire hors normes : « Je retiens les numéros de téléphone par coeur, ce qui me fait gagner un temps fou. ».
Il admet ne pas être autonome à 100 % et s’est entouré d’un réseau solide. « Le handicap m’a appris à déléguer. Transmettre les compétences est devenu un réflexe de gestion, mais pour autant, je m’assure que le travail est bien fait. ». Un principe inclusif, pratique et adapté aux besoins de l’entreprise.
Le handicap comme moteur de dépassement
Gilles refuse de se positionner comme une victime. Pour lui, le handicap est une source d’énergie. Il s’appuie sur son passé de sportif pour expliquer sa persévérance : « Sans la discipline et la combativité du sport, j’aurais peut-être lâché. ». Il n’a jamais vraiment été confronté directement aux discriminations, mais certaines remarques maladroites l’ont marqué. « J’ai déjà entendu un client me faire une réflexion sur ma vue. Je lui ai répondu avec fermeté. C’était un manque de maturité de sa part. ». Selon lui, la clé est d’assumer son handicap plutôt que de le cacher : « Il fait partie de moi. Je l’accepte pour mieux avancer. C’est une force supplémentaire, une motivation qui oblige à chercher plus loin. ».
Ce patron « comme les autres » reste convaincu que le handicap est une richesse dans l’entrepreneuriat. « On veut prouver qu’on est capable. On se bat plus fort. La résilience est une vraie clé de la réussite. ». Sa carrière de sportif lui a inculqué l’endurance nécessaire pour surmonter les doutes.
Un message d’espoir aux futurs entrepreneurs
À ceux qui hésitent à se lancer en raison de leur handicap, Gilles adresse un message à la fois lucide et motivant : « Il faut être un peu fou, avoir du courage, y croire plus fort que les autres et être bien entouré. » Pour lui, une personne en situation de handicap possède une force supplémentaire, une motivation intérieur capable de déplacer des montagnes. « On vit dans une époque où entreprendre est difficile. Mais si on croit en son projet, il ne faut rien lâcher. » souligne-t-il.
Sa vision entrepreneuriale est portée par l’exigence de réussir autrement et Gilles Desaneaux voit loin. Atout Bat prévoit de renforcer ses équipes en recrutant des profils stratégiques, afin de consolider sa présence sur le terrain et d’approfondir la relation client. « On veut être plus présent auprès de ceux qui nous font confiance. ». Parallèlement, l’entreprise amorce un virage numérique avec l’ambition de développer la vente en ligne à l’échelle nationale.
Ce témoignage en vidéo
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